Ville Lumière by Eugène Dabit

Ville Lumière by Eugène Dabit

Auteur:Eugène Dabit [Dabit, Eugène]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Nouvelles, Société, Littérature française, 20e
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2023-12-18T00:00:00+00:00


UN DIMANCHE DANS LA BANLIEUE SUD(11)

Une sale journée d’hiver parisien, pluvieuse et grise. Le sol est gluant, une eau trouble roule dans les ruisseaux. La place d’Italie : murs noirs des immeubles et de la mairie du XIIIe arrondissement, arbres morts. Là je prends le tram qui me conduira à l’hospice d’Ivry. Un vieux tram. Il grince, sonne, cahote, s’enfonce dans la banlieue morne. Sous le ciel uni, dans la plaine, des maisons : cabanes à lapins, meublés, et ces hautes bâtisses neuves ; elles n’en auront pas pour beaucoup d’années à faire les belles.

Le receveur : « Faut descendre ici. » Sur une place ornée d’une statue de la IIIe République – la gaillarde montre ses seins. Une avenue. D’un côté, entouré de grilles, se dresse l’asile ; de l’autre, une butte couverte de jardinets. Et, partout, les pensionnaires de l’asile, une cohorte pas brillante ni tapageuse, des vieux tordus et rabougris comme des arbres, des vieilles mal attifées.

C’est là.

Le porche pue le passé et le moisi. Je pénètre dans une vaste cour, pas d’aspect désagréable, avec des arbres soigneusement taillés, et au fond une église gentille comme celle d’un village de jouets. Tout ça promet le silence, l’oubli, une vie heureuse… Non. Voilà les hospitalisés, de partout il en sort. De toutes espèces : gâteux, bossus, branlants, borgnes, et d’autres à béquilles, et d’autres qui sont assis dans des fauteuils à roulettes ; et puis ceux qu’on ne voit pas, qui ne traînent pas, ne piétinent pas, ne regardent plus ces arbres couleur de corbillard. Ceux-là restent dans les dortoirs. Au passage, derrière les vitres d’une porte, on les aperçoit dans leurs chambrées, ces reclus ; tous enfermés dans des salles profondes qui ont une allée centrale, et des lits de fer à l’alignement, des lits entre lesquels reste un peu d’espace, de quoi se tourner. Oui, au passage, on voit ça, un spectacle pas réjouissant.

J’entre dans une de ces salles, où je dois rencontrer deux vieux camarades. Ils sont de sortie, les gaillards, et c’est leurs lits que je trouve, pareils à d’autres lits. À présent je les vois de près, ces plumards, peut-être pas des nids à punaises, mais du genre de ceux qu’on trouve dans les hôpitaux et dans les casernes. Les draps sont râpeux, jamais blancs, plutôt brunâtres comme du mauvais pain de paysan, juste bons à fournir des suaires. Autour de son lit, chaque vieux peut se construire son nouveau petit monde, qui ne vaut pas l’ancien, mais autant que possible le rappelle ; et on s’arrange, un peu comme au régiment. Seulement pas de planches à paquetages, pas d’armes, tout de même fini ce temps-là. Dame ! depuis quarante ou cinquante ans qu’on a quitté la caserne qui puait la prison, on a eu de l’avancement dans la vie, on a pris de l’expérience, on a bien mérité d’obtenir un peu de confort.

Ici, on ne pense guère à autre chose : le confort ! On l’a presque. Chauffage central, électricité, c’est moderne



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